Le casse-tête des enregistrements vidéo, de la protection des données et de la personnalité est bien connu: les caméras ont beau montrer clairement une infraction, elles ne peuvent pas être utilisées, selon la manière dont les photos ont été prises ou la gravité du type d’infraction. C’est ainsi que des automobilistes chroniquement mal garés ou des «parasites des voies de secours» ont déjà réussi à échapper à toute sanction. Encore mieux: les auteurs des enregistrements risquent même d’être poursuivis à leur tour pour avoir agi illégalement. L’argument de la protection de la personnalité, qui est sans aucun doute important, peut dégénérer en véritable protection des délinquants, ce qui constitue le revers de la médaille.
Mais récemment, le Tribunal fédéral a rendu un arrêt important. Il ne s’agissait pas d’enregistrements de caméras embarquées privées, mais de ceux provenant de caméras de circulation de l’OFROU, qui ont permis de prouver l’infraction suivante: un automobiliste circulait sur l’A1 en direction de Berne à travers le canton d’Argovie sans permis de conduire. Il a dépassé un groupe de véhicules en passant de la voie de dépassement à la voie normale et en augmentant sa vitesse. Il est ensuite repassé sur la voie de dépassement; il avait donc dépassé par la droite. Une fois sur la voie de dépassement, il s’est mis à talonner le véhicule qui le précédait: c’est ainsi qu’il a suivi cette voiture sur une distance de 222 mètres avec un écart de seulement 7 à 8 mètres, à une vitesse d’au moins 90 km/h. Un peu plus tard, il a dépassé de 49 km/h la vitesse maximale autorisée, qui était de 120 km/h.
Cour suprême: «non exploitable»
En juillet 2021, le Ministère public d’Aarau-Lenzbourg a reconnu le conducteur coupable de violations graves et répétées des règles de la circulation, de plus en n’étant pas titulaire du permis de conduire. L’accusé s’est toutefois défendu, avec succès dans un premier temps: le tribunal de district d’Aarau, puis la Cour suprême, ont en effet acquitté l’homme en question. Ces deux tribunaux ont estimé que les enregistrements de caméras de surveillance du trafic montrant les infractions de ce conducteur n’étaient pas utilisables. Ils ont affirmé qu’il n’existait aucune base légale concernant la réalisation et la transmission des enregistrements.
L’argument de la sécurité routière
Le Tribunal fédéral a corrigé cette affirmation: la saisie photographique du trafic sur les routes nationales sert aussi expressément la sécurité routière, dit-il. Mais celle-ci ne peut être garantie que si les infractions au code de la route constatées par l’image ont des conséquences, c’est-à-dire si elles peuvent être sanctionnées dans le cadre d’une procédure pénale. La transmission des données d’images, saisies légalement sur la base de la loi sur la circulation routière, dans le cadre d’une procédure pénale est donc prévue «au moins implicitement» par le but visé par la saisie desdites images. Il existe certes une réglementation selon laquelle les données personnelles recueillies lors de la saisie d’images de l’infrastructure des routes nationales ne peuvent pas être exploitées à des fins personnelles. Mais cette réglementation ne s’applique qu’aux données qui servent à l’accomplissement des tâches de l’OFROU. Cette réglementation ne s’applique pas au travail des autorités de poursuite pénale.
Le Tribunal fédéral déclare donc ce qui suit: quiconque participe à la circulation routière, en particulier sur les routes nationales, doit s’attendre à ce que son véhicule ou lui-même soit filmé par des caméras de circulation et que les données puissent être utilisées dans le cadre d’une procédure pénale liée à la circulation ou au Code de la route.
Voici ce que le Tribunal fédéral a également écrit à ce sujet: «Les autorités fédérales et cantonales sont tenues d’accorder l’entraide judiciaire lorsque des infractions sont poursuivies et jugées conformément au droit fédéral. Cette entraide judiciaire doit être accordée sans réserve.» Cette affirmation montre clairement qu’en ce qui concerne la protection des délinquants, la marge de manœuvre dans le cadre du débat sur la protection des données et de la personnalité n’est pas illimitée.
Texte: Daniel von Känel
Photo: Ofrou