La première tournée avec Joe

Monde du transport Ausgabe-03-2024

[Translate to French:] Joe und Denise Flege leben in Winnipeg, Kanada.

En juillet 2022, Denise Flege a quitté Reinach (AG) pour rejoindre son mari, le routier Joe Flege, à Winnipeg, au Canada. «A 51 ans, prendre une telle décision n’est pas si simple», reconnaît-elle. Cet article, qu’elle a elle-même écrit, est consacré à sa nouvelle vie sur lesroutes d’Amérique du Nord.

Les aventures de Denise et Joe Flege en Amérique du Nord

Bien sûr, j’ai toujours souhaité partir avec mon mari Joe. Mais personne n’aurait pu imaginer que cela prendrait autant de temps. Après un an et demi d’attente jusqu’à ce que la procédure d’immigration complète soit terminée, j’ai finalement rassemblé tous les papiers nécessaires. Super, j’étais contente!

28.11.2023: la veille du premier voyage

J’avais beaucoup de questions en tête. Est-ce que je vais pouvoir rester assise aussi longtemps? Est-ce que je pourrai dormir dans un camion? Comment cela va-t-il se passer pour la douche? Qu’est-ce que je dois mettre dans mon sac? Toutes les femmes connaissent bien cette dernière question. Je ne voulais pas non plus déménager toute la maison avec moi. Joe a aussi attiré mon attention sur le poids total autorisé de son véhicule: je n’ai pas pu m’empêcher de rire, car je ne voulais pas emporter autant de choses! Mais comme je m’étais fait une liste au préalable, cela s’est bien passé et j’étais «ready» pour le lendemain matin. Bison, le mandataire de Joe, a demandé au préalable une «passenger waiver» pour des raisons d’assurance. Je n’ai pas très bien dormi la dernière nuit que j’ai passée à la maison, car j’étais assez nerveuse, même si je me réjouissais énormément.

29.11.2023: c’est parti

Mon réveil sonne à 5 heures afin que j’aie suffisamment de temps pour préparer une tresse au beurre et un gâteau. Je fais toujours des gâteaux pour Joe, même quand il roule seul. Joe avait réservé une tournée pas trop difficile pour notre première sortie commune, afin que nous puissions tester notre premier voyage ensemble dans de bonnes conditions. A 8 heures, nous étions avec «Josie» (le camion) dans le garage et Joe préparait son véhicule pour le départ en effectuant le contrôle obligatoire. Au «Bison Yard» de Winnipeg, nous avons pris une semi-remorque vide et nous sommes allés la charger à Oakbank, localité qui se trouve un peu à l’est de Winnipeg. Le chargement s’est fait rapidement et nous avons pu quitter le site dans l’heure qui a suivi. Ici, le chargement et le déchargement sont d’ailleurs exclusivement assurés par le personnel de l’entrepôt. Notre chargement de tourbe devait être acheminé vers une entreprise horticole à Allendale / Michigan. Le trajet jusqu’à la frontière américaine à Pembina / Dakota du Nord a duré environ deux heures. J’avais déjà préparé mon passeport suisse et ma carte PR (permanent resident), en espérant passer la frontière sans encombres. Joe présente nos papiers d’identité et nous devons ensuite nous rendre au bureau pour obtenir un visa «I 94» d’une durée de trois mois. Mes empreintes digitales ont été scannées et on m’a prise en photo. J’ai fait établir mon ESTA (autorisation d’entrée sur le territoire américain) l’année dernière, lorsque nous nous sommes remariés à Las Vegas. Cette autorisation était donc encore valable. Cependant, l’agent m’a dit qu’elle avait expiré. J’ai eu peur, mais après vérification, un autre agent m’a expliqué que mon année de naissance n’était pas enregistrée correctement dans le système. J’étais complètement perdue. Quoi encore, une autorisation non valable à cause d’un millésime erroné dans le système? Par mesure de sécurité, j’avais encore une copie de ce document dans mon téléphone portable, mais ces messieurs ne voulaient pas la voir. Finalement, tout s’est arrangé et Joe n’a pas dû m’abandonner à la frontière!

J’étais enfin aux États-Unis et j’ai pu voir le premier drapeau américain. C’était merveilleux! Comme certains produits alimentaires canadiens ne peuvent pas passer la frontière, nous sommes allés dans un magasin où nous avons fait des achats pour les jours suivants. La nuit était déjà tombée et nous commencions également à avoir très faim. C’est ainsi qu’à 22 heures, nous avons terminé notre journée de travail au «Truckstop Hasty». Je me suis immédiatement précipitée derrière le siège vers le réfrigérateur et j’ai préparé le souper que nous attendions tous les deux. C’est fou ce que l’on peut faire pour le souper lorsque l’on fait preuve de créativité! C’était une longue journée et j’étais aussi épuisée que si j’avais conduit moi-même. «Josie» avait été parfaitement garé devant le Truckstop, si bien que je n’ai donc pas eu à parcourir beaucoup de chemin pour faire ma toilette du soir et celle du matin. Cela faisait longtemps que je n’avais pas été aussi impatiente de me coucher que ce soir-là. Malgré mes 50 ans, j’ai réussi à monter dans le lit supérieur, que Joe appelait le «Kenworth Loft», et je me suis tout de suite sentie à l’aise dans ma petite suite. Voilà que je pouvais enfin dormir dans ce camion et je n’ai pas tardé à m’endormir. J’espérais d’ailleurs ne pas avoir à sortir la nuit, car me connaissant, cela ne se serait pas fait sans bruit et Joe se serait réveillé.

30.11.2023: le deuxième jour

Tout s’est bien passé et le téléphone portable de Joe nous a réveillés tôt le matin. Qui se lève le premier et va se préparer pour la journée? Les deux ne peuvent pas s’habiller en même temps devant les lits sans se gêner. Joe s’est donc levé et m’a laissé la place. Je me suis habillée et j’ai couru jusqu’au relais routier pour me rendre «présentable». Il était important pour moi de prendre soin de ma personne pendant cette tournée et de pouvoir être comme j’ai toujours été. Il était maintenant temps de prendre un solide petit déjeuner avec ma tresse, du beurre, des œufs à la coque, de la confiture et du café. C’est Joe qui a préparé le café dans le truck et qui a en profité pour remplir nos bouteilles thermos. J’ai tout préparé sur la table rabattable, placée à l’arrière du «sleeper», et j’ai tout réparti sur deux assiettes pour éviter les miettes inutiles.

Nous avons repris la route vers 8 heures et avons traversé facilement Minneapolis, malgré l’heure de pointe. Après environ quatre heures de route, nous avons fait une pause à Tomah / Wisconsin. Comme l’horaire nous le permettait, nous en avons brièvement profité pour dîner dans un restaurant chinois avec buffet. C’était très bon et nous avons apprécié ce repas chaud. A peine le temps de manger que nous étions de nouveau assis dans la cabine de «Josie» et que nous reprenions la route vers Chicago. Joe se demandait si nous voulions prendre une douche avant ou après Chicago. Comme je l’avais entendu dire qu’il y avait souvent des embouteillages dans cette ville, je lui ai proposé de faire en sorte de s’arrêter avec «Josie» après avoir franchi «le chaos de Chicago», afin de pouvoir terminer tranquillement notre journée. Chicago était vraiment horrible pour moi, il y avait tellement de circulation, on nous dépassait par la droite, on tournait juste devant nous avec des véhicules roulant sans feux, et j’en passe, à tel point que j’avais les cheveux qui se dressaient sur la tête et que je ne me sentais pas très à l’aise. Lorsque nous avons garé «Josie» au relais routier de Benton Harbor / Michigan, j’étais vraiment contente, car je pensais que j’allais enfin pouvoir prendre une douche. Nous avons fait nos sacs et nous sommes allés à la caisse, où Joe a réservé deux douches. Le numéro de la douche et le code de la porte sont inscrits sur le ticket, ce qui permet d’ouvrir la porte correspondante. Un panneau lumineux indiquait combien de personnes attendaient encore devant nous pour se rafraîchir. Je calculais déjà combien de temps nous devions encore attendre, car il y avait huit personnes devant nous et il n’y avait «que» six douches. Mes nerfs n’étaient plus aussi solides qu’en début de journée, mais Joe est resté calme. Il n’y avait de toute manière pas d’autre solution et nous avons attendu dans le couloir que les douches se libèrent. Enfin, nos numéros se sont affichés et Joe est venu avec moi à la douche, m’a expliqué comment utiliser le code et m’a prévenue que je ne devais pas rouvrir la porte après l’avoir fermée, car elle serait alors à nouveau déverrouillée. J’ai été très étonnée en découvrant cette pièce: une grande douche, des toilettes, un lavabo, un grand miroir et des serviettes propres. Une pour le sol, un gant de toilette et une grande serviette de douche. Je me suis dit: «Waouh, je n’imaginais pas ça comme ça.» J’ai réalisé à quel point j’étais gâtée et à quel point il nous paraît naturel de pouvoir profiter d’une douche tous les jours, sans devoir faire la queue. Parfois, il est bon de découvrir quelque chose de différent pour pouvoir apprécier à nouveau ce qui semble aller de soi. Puis nous n’avons pas tardé à nous dire «Bonne nuit».

1.12.2023: le troisième jour

Ce matin, nous devions nous lever à 5 h 30. En effet, le déchargement chez le client à Allendale, dans le Michigan, était prévu à 8 heures. Joe est allé nous chercher un café au relais routier et nous sommes partis sans déjeuner. En effet, démarrer sans manger, c’est possible, mais sans café, non! Lorsque Joe s’est rendu auprès de cette jardinerie établie sur la place, j’ai pensé qu’il s’était certainement trompé. Comment un camion aussi gigantesque pouvait-il accéder à cette rampe, alors qu’il y avait encore un arbre au milieu de la place? Malheureusement, il n’y avait personne pour nous recevoir, mais sur la porte se trouvait un bout de papier avec un numéro de téléphone. Au moment où Joe allait composer le numéro, le propriétaire de cette jardinerie est arrivé. Après une brève instruction, Joe s’est rendu sans problème jusqu’à la rampe de déchargement. Cet homme était très gentil et m’a montré les toilettes avant de décharger la remorque. Une fois la tourbe déchargée, il nous a demandé si nous avions encore besoin d’un balai pour nettoyer la remorque. Un tel service ne va pas de soi partout. De plus, nous avons trouvé ses mots très sympathiques au moment de prendre congé: «It was my pleasure!»

Notre nouveau chargement nous attendait à Détroit, dans une grande usine automobile, ce qui signifiait que nous allions rouler 300 kilomètres à vide. Ces chargements nécessitent ce qu’on appelle une FAST card (free and secure trade), qu’on ne peut obtenir qu’avec un statut de PR (permanent resident) ou en tant que citoyen américain, après en avoir fait la demande et avoir subi un contrôle d’identité. L’avantage de ces cargaisons est qu’il n’y a pas besoin de remplir de formalités douanières à la frontière. Joe était content, car tout va toujours très vite là-bas. Il a placé la semi-remorque vide à l’endroit prévu et s’est ensuite rendu au bureau. Quand nous sommes arrivés, c’était l’heure du dîner et j’ai profité de l’occasion pour aller aux toilettes. J’étais contente que Joe soit avec moi, car la porte ne se fermait pas à clé et il n’y avait que des toilettes pour hommes. Il devait pratiquement monter la garde. Une fois de retour au camion, il est allé chercher les papiers et a ainsi pris connaissance du numéro de la semi-remorque chargée qui nous attendait. Grâce à l’application Bison, il suffit de cliquer sur le numéro de la semi-remorque pour que Google Maps s’ouvre et indique à 5 mètres près où la semi-remorque en question est garée. C’est une grande aide et cela évite au chauffeur de devoir chercher à l’infini, car certaines entreprises possèdent des milliers de semi-remorques. Celles qui appartiennent à la société Bison sont surveillées par satellite. Le poids du chargement nous a ensuite fait encore plus plaisir: deux tonnes... c’est quasiment un voyage à vide! Le poids maximal d’un chargement pourrait être de 45 tonnes. Plus le chargement est léger, plus la consommation de diesel est faible. Nous avons quitté Détroit en direction de Chicago et un trajet de onze heures nous a suffi pour arriver juste avant Chicago. C’est ainsi que nous avons pu passer la soirée à Lake Station / Indiana, sur une aire appelée «Flying J Truckstop». De toute façon, à Chicago même, il vaut mieux éviter de passer la nuit. Il était difficile de trouver un endroit approprié, car beaucoup de camions étaient déjà sur place. Malheureusement, il était impossible de se garer sur le devant, près du Truckstop, et nous avons donc passé la nuit à l’arrière du parking, dans la partie la plus sombre du site, où je n’étais pas très à l’aise. Il n’y a pas beaucoup de femmes dans ces endroits, on me dévisageait souvent et ce n’était pas très agréable. Nous avons marché ensemble jusqu’aux douches et au restaurant, puis nous sommes revenus au camion... et je dois avouer que je n’aurais pas fait un mètre toute seule là-bas.

2.12.2023: le quatrième jour

Aujourd’hui, c’était déjà le quatrième jour que nous nous levions tôt, bien que ce ne soit généralement pas les horaires de Joe. Petite toilette du matin, un café et hop départ! Comme nous avions contourné Chicago à l’aller, Joe a tenu à me faire visiter un peu cette ville. Ses gratte-ciel étaient très impressionnants et le «Skyway Toll Bridge» était même génial. Bien sûr, le franchissement de ce pont n’était pas gratuit, mais pour moi, c’était un plaisir absolu de le traverser. Je ne pourrais jamais vivre ici; je suis une enfant de la campagne, mais voir ça une fois, c’était vraiment le pied! Comme nous sommes partis très tôt, l’horaire nous a permis de retourner auprès de «notre» restaurant chinois. C’était tellement bon et j’ai beaucoup apprécié leur choix de plats. Prix du repas pour deux personnes: 35 USD, soit env. 25 CHF. Sur le site se trouvait également un magasin Aldi et comme le fromage est moins cher aux États-Unis qu’au Canada, il était évident que nous allions encore en acheter. Je n’avais pas été dans un magasin Aldi depuis un an et demi et ce qui m’a frappée, c’est que celui-ci était vraiment beau et bien rangé. Le voyage s’est poursuivi jusqu’à Alexandria / Minnesota, où nous avons terminé notre journée de travail. Comme nous sommes partis tôt, nous avons terminé tôt. Cela nous a permis de trouver une place de parking et de ne pas faire la queue pour prendre une douche.

3.12.2023: la dernière journée

Levé à nouveau à 5 heures, Joe est parti chercher le café et nous avons pris la direction de Winnipeg dans l’obscurité. D’ici, il ne reste que six heures de route jusqu’à Winnipeg. Un brouillard soudain rendait la visibilité très mauvaise, nous avons également vu que le sol scintillait: la température avoisinait le zéro degré. Je n’étais plus très à l’aise, l’obscurité, le brouillard et le verglas n’étaient pas une bonne combinaison pour moi. Mais quand les anges voyagent... le soleil est soudainement réapparu. A Winnipeg, Joe a garé la semi-remorque au Bison Yard. De là, il s’est rendu dans son garage, où «Josie» a été déposé. Le hangar est chauffé, ce qui est très important, car ici, pendant les longs mois d’hiver, les températures de moins 30 degrés (voire moins) sont monnaie courante. Winnipeg compte parmi les grandes villes les plus froides du monde. J’ai ensuite nettoyé l’intérieur du camion, car à deux, malgré les précautions, il y avait quand même quelques miettes de gâteau à ramasser.

Pour moi, les journées passées sur la route au Canada et aux États-Unis furent très intéressantes. Ce que j’ai beaucoup apprécié, c’est qu’aux États-Unis, les toilettes étaient très propres, que ce soit sur une aire de repos ou dans un restaurant. De plus, on ne doit jamais payer de frais pour l’utilisation des toilettes. Il y a longtemps que je n’avais pas vécu, découvert et apprécié autant de choses que durant ces quatre jours! J’ai également eu un aperçu du travail d’un camionneur, qui comprend beaucoup plus de tâches que la «simple» conduite. Pour moi, il s’agit d’un travail pénible qu’il ne faut pas sous-estimer: chapeau bas et merci à tous les camionneurs, car sans vous nous n’aurions rien!

Texte et Photos: Denise Flege